dimanche 6 novembre 2011

Ce qu'il faut savoir à propos du WEB: troisième partie

Troisième partie : Quelques perspectives pour le développement de l’Internet 
en guise de conclusion
Si l’Internet offre l’opportunité à tout citoyen, groupe de citoyens ou organisation sociale d’éditer des contenus informatifs et d’exprimer des opinions et des idées, on constate qu’à l’inverse, il peut être un excellent instrument de contrôle social. Contrairement au déterminisme technologique, ce courant de pensée qui veut que les nouvelles technologies induisent des changements sociaux, nous opposerons cette phrase de Fernand Braudel : « une innovation ne vaut jamais qu’en fonction de la poussée sociale qui la soutient et l’impose ». Ainsi, il convient d’étudier le phénomène de l’Internet en tant que série de potentialités, exploitées ou non; un phénomène qui évolue selon l’usage social qui en est fait et en suivant les objectifs propres à chaque acteur social, plutôt que comme une source de transformations sociales inévitables.
L’Internet, comme nous l’avons vu, souffre d’une gouvernance opaque et d’un manquement au niveau de la consultation publique. Des gouvernements influent sur cet environnement virtuel et le limitent d’une manière contraire aux principes fondamentaux édictés par la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 que sont la protection de la vie privée (article 12) et la liberté d’expression (article 19). Des entreprises privées possèdent un pouvoir sur ce même environnement, qui devrait être remis entre les mains d’une institution internationale où serait représenté l’ensemble des acteurs de la vie sociale, soit les entreprises, les gouvernements et différents groupes issus de la société civile. Cette institution devrait être en charge de la gouvernance de l’Internet et donc, veiller sur ses aspects techniques et juridiques, de même que travailler à l’harmonisation des réglementations nationales. Son rôle serait également social, puisqu’elle veillerait à améliorer l’accès de l’Internet auprès d’une plus large population. À l’exemple de la Finlande, la Déclaration universelle des droits de l'homme devrait faire de l’accès à l’Internet un droit fondamental pour chaque citoyen et l’UNESCO devrait protéger la culture véhiculée sur l’Internet en tant qu’élément du patrimoine mondial.
Le Forum sur la gouvernance de l’Internet, qui tiendra sa cinquième réunion en septembre 2010, constitue une base intéressante pour réorganiser l’Internet, mais insuffisante, compte tenu de l’ampleur de l’enjeu. Ainsi, une centaine de pays ont été représentés et environ 2000 membres se sont réunis lors du quatrième Forum, comptant des gouvernements, des ONG, des entreprises et des experts des domaines concernés.
L’ampleur de la tâche demanderait la création d’une agence intergouvernementale distincte de l’Union internationale des télécommunications, qui ferait une large place aux mouvements sociaux dans ses consultations et qui serait amenée, à moyen terme, à relayer ou à absorber les diverses organisations qui assurent actuellement la gestion et le développement de l’Internet.
L’Internet s’est en partie construit sur les Request for comments. Il serait pertinent d’employer cette procédure pour l’ensemble des aspects qui concernent l’Internet, tant techniques que sociaux, politiques ou économiques. Ce serait l’occasion de consulter l’ensemble des usagers de l’Internet et de faire ressortir une série de points consensuels qui serviraient d’ébauche au sein des groupes de travail intégrés à l’agence intergouvernementale responsable.
La mainmise actuelle de moteurs de recherche privés appelle à la création d’outils publics de recherche de contenus reposant sur des procédures simples et standardisées, de manière à ce que les sites Web puissent être répertoriés selon leur contenu et leur pertinence et non grâce à la virtuosité technique d’un programmeur ou au budget faramineux de son propriétaire.
Le fait que les sites Web soient majoritairement hébergés par des entreprises privées cause également problème, car tout bris de contrat ou disparition d’une entreprise entraîne la perte de contenus et, à long terme, une amnésie du Web. La Bibliothèque nationale de Suède a entrepris d’archiver, dès 1996, les sites Web hébergés sur son territoire. La France a suivi son exemple à partir de 1999. Ce type d’initiative devrait être systématisé, car le Web constitue la mémoire de notre société et de notre époque.

L’internet comme instrument de contrôle social
Comme nous l’avons vu plus tôt, les régimes autoritaires peuvent filtrer les contenus de l’Internet qui seront accessibles à leur population, comme c’est le cas, notamment, en Arabie Saoudite, en Chine ou en Iran. Ils peuvent également limiter l’accès à un nombre limité de personnes, souvent des membres du gouvernement, comme c’est le cas en Corée du Nord et à Cuba. Cependant, ces atteintes à la liberté d’expression ne sont pas l’apanage des seuls régimes autoritaires. Ainsi, la législation française oblige les hébergeurs de sites à conserver les informations concernant l’identité de leurs clients et à les divulguer à la demande d’un juge. Aux États-Unis, des logiciels de filtrages doivent être installés sur les ordinateurs publics branchés sur l’Internet, afin de bloquer certains mots clés tels que le très subversif mot « sexe ». De plus, le FBI emploie, sans mandat, depuis 2000, un système de surveillance de l’Internet reposant sur des dispositifs installés sur les serveurs des FAI.
Les systèmes automatisés de traitement de l’information deviendront ainsi de plus en plus intelligents et autonomes. Dans les régimes dictatoriaux pré-numériques, la principale limite à l’efficacité de la surveillance de la population résidait dans le nombre trop important d’individus requis pour gérer le volume d’informations et faire les recoupements nécessaires pour que les informations soient signifiantes. Avec les avancées technologiques prévues du Web sémantique, du Web ubiquitaire et de l’Internet des objets, auxquelles on ajoute les progrès en matière de reconnaissance biométrique et l’ensemble des périphériques permettant la saisie de données et d’images, tels les satellites, les appareils photo et vidéo intégrés aux cellulaires, les caméras de surveillance, etc., les possibilités de contrôle social et de surveillance sont vastes et pour le moins inquiétantes. Ainsi, il deviendra techniquement possible de surveiller l’ensemble des communications médiatisées et la consommation de biens culturels suspects des individus (par le biais des réseaux de paiement par carte, par exemple), de suivre leurs déplacements en temps réel, tant par le biais des multiples objets servant de transpondeurs (GPS, cellulaires, puces de radio-identification, etc.) que par la reconnaissance faciale sur les images vidéos des caméras de surveillance. Dans les faits, les outils nécessaires à un tel contrôle existent déjà de nos jours; il ne resterait qu’à les multiplier et à les systématiser. Ceci dit, pour que de telles mesures soient prises, il faudrait que la volonté politique et les moyens financiers existent et que la société civile assiste sans réagir à la violation de ses libertés fondamentales.
Sans donner dans la paranoïa, cette projection orwellienne ne fait que rappeler l’importance, pour les citoyens, de surveiller le développement et la réglementation des technologies de communication, de manière à ce qu’ils respectent ses besoins, ses droits, ses libertés et ses aspirations.

L’Internet comme outil démocratique
L’Internet peut être également un outil au service de la démocratie. L’histoire de son développement est porteuse de leçons en matière d’organisation sociale et politique. Ainsi, les premiers usagers de l’Internet œuvraient à son développement en dehors de toute hiérarchie, en tablant sur la discussion, la collaboration et la volonté de conjuguer les efforts pour la mise en œuvre d’un projet collectif. Aujourd’hui, ces principes se retrouvent dans l’élaboration de l’encyclopédie Wikipédia. Un tel projet mise sur la multiplicité des savoirs et des points de vue, ainsi que sur les efforts et la responsabilité de chacun des participants. Le sentiment d’appartenance résultant d’un tel projet le préserve, la plupart du temps, de comportements abusifs tels que le vandalisme. Il serait pertinent de se demander si les principes, qui font le succès du Web collaboratif, ne pourraient pas être applicables à la société, sous la forme, notamment, de l’autogestion.
Si les citoyens d’un États se comptent par millions et que ce nombre a, jusqu’à maintenant, interdit le principe de la démocratie participative à l’échelle nationale, l’Internet devient un outil efficace pour la consultation populaire, en ce qui concerne l’ensemble des enjeux sociaux et politiques qui le touchent, de même qu’un espace public de débat et un réservoir d’informations pour permettre aux citoyens de faire des choix éclairés. Ceci dit, un tel scénario serait tout aussi surprenant, sinon plus, que celui d’une société du contrôle social total, car une augmentation de la participation de la population à la vie démocratique exige le développement d’une culture de la participation citoyenne et une éducation plus poussée en matière de politique, d’autant plus qu’il serait étonnant d’un gouvernement accepte de déléguer une partie de ses pouvoirs à la société civile. Ces obstacles actuels expliquent en partie les limites à une appropriation citoyenne des médias.

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