Troisième partie : Quelques
perspectives pour le développement de l’Internet
en guise de conclusion
Si l’Internet
offre l’opportunité à tout citoyen, groupe de citoyens ou organisation
sociale d’éditer des contenus informatifs et d’exprimer des opinions et des
idées, on constate qu’à l’inverse, il peut être un excellent instrument de
contrôle social. Contrairement au déterminisme technologique, ce courant de
pensée qui veut que les nouvelles technologies induisent des changements
sociaux, nous opposerons cette phrase de Fernand Braudel : « une innovation
ne vaut jamais qu’en fonction de la poussée sociale qui la soutient et
l’impose ». Ainsi, il convient d’étudier le phénomène de l’Internet en tant
que série de potentialités, exploitées ou non; un phénomène qui évolue selon
l’usage social qui en est fait et en suivant les objectifs propres à chaque
acteur social, plutôt que comme une source de transformations sociales
inévitables.
L’Internet,
comme nous l’avons vu, souffre d’une gouvernance opaque et d’un manquement au
niveau de la consultation publique. Des gouvernements influent sur cet
environnement virtuel et le limitent d’une manière contraire aux principes
fondamentaux édictés par la Déclaration
universelle des droits de l'homme de 1948 que sont la
protection de la vie privée (article 12) et la liberté d’expression (article
19). Des entreprises privées possèdent un pouvoir sur ce même environnement,
qui devrait être remis entre les mains d’une institution internationale où
serait représenté l’ensemble des acteurs de la vie sociale, soit les
entreprises, les gouvernements et différents groupes issus de la société
civile. Cette institution devrait être en charge de la gouvernance de
l’Internet et donc, veiller sur ses aspects techniques et juridiques, de même
que travailler à l’harmonisation des réglementations nationales. Son rôle
serait également social, puisqu’elle veillerait à améliorer l’accès de
l’Internet auprès d’une plus large population. À l’exemple de la Finlande, la
Déclaration universelle des droits de l'homme devrait faire de l’accès à
l’Internet un droit fondamental pour chaque citoyen et l’UNESCO devrait
protéger la culture véhiculée sur l’Internet en tant qu’élément du patrimoine
mondial.
Le Forum sur la
gouvernance de l’Internet, qui tiendra sa cinquième réunion en
septembre 2010, constitue une base intéressante pour réorganiser l’Internet,
mais insuffisante, compte tenu de l’ampleur de l’enjeu. Ainsi, une centaine
de pays ont été représentés et environ 2000 membres se sont réunis lors du
quatrième Forum, comptant des gouvernements, des ONG, des entreprises et des
experts des domaines concernés.
L’ampleur
de la tâche demanderait la création d’une agence intergouvernementale distincte
de l’Union internationale des télécommunications, qui ferait une large place
aux mouvements sociaux dans ses consultations et qui serait amenée, à moyen
terme, à relayer ou à absorber les diverses organisations qui assurent
actuellement la gestion et le développement de l’Internet.
L’Internet
s’est en partie construit sur les Request for comments. Il serait pertinent
d’employer cette procédure pour l’ensemble des aspects qui concernent
l’Internet, tant techniques que sociaux, politiques ou économiques. Ce serait
l’occasion de consulter l’ensemble des usagers de l’Internet et de faire
ressortir une série de points consensuels qui serviraient d’ébauche au sein
des groupes de travail intégrés à l’agence intergouvernementale responsable.
La
mainmise actuelle de moteurs de recherche privés appelle à la création
d’outils publics de recherche de contenus reposant sur des procédures simples
et standardisées, de manière à ce que les sites Web puissent être répertoriés
selon leur contenu et leur pertinence et non grâce à la virtuosité technique
d’un programmeur ou au budget faramineux de son propriétaire.
Le fait
que les sites Web soient majoritairement hébergés par des entreprises privées
cause également problème, car tout bris de contrat ou disparition d’une
entreprise entraîne la perte de contenus et, à long terme, une amnésie du
Web. La Bibliothèque nationale de Suède a entrepris d’archiver, dès 1996, les
sites Web hébergés sur son territoire. La France a suivi son exemple à partir
de 1999. Ce type d’initiative devrait être systématisé, car le Web constitue
la mémoire de notre société et de notre époque.
L’internet
comme instrument de contrôle social
Comme
nous l’avons vu plus tôt, les régimes autoritaires peuvent filtrer les
contenus de l’Internet qui seront accessibles à leur population, comme c’est
le cas, notamment, en Arabie Saoudite, en Chine ou en Iran. Ils peuvent
également limiter l’accès à un nombre limité de personnes, souvent des
membres du gouvernement, comme c’est le cas en Corée du Nord et à Cuba. Cependant,
ces atteintes à la liberté d’expression ne sont pas l’apanage des seuls
régimes autoritaires. Ainsi, la législation française oblige les hébergeurs
de sites à conserver les informations concernant l’identité de leurs clients
et à les divulguer à la demande d’un juge. Aux États-Unis, des logiciels de
filtrages doivent être installés sur les ordinateurs publics branchés sur
l’Internet, afin de bloquer certains mots clés tels que le très subversif mot
« sexe ». De plus, le FBI emploie, sans mandat, depuis 2000, un système de
surveillance de l’Internet reposant sur des dispositifs installés sur les
serveurs des FAI.
Les
systèmes automatisés de traitement de l’information deviendront ainsi de plus
en plus intelligents et autonomes. Dans les régimes dictatoriaux
pré-numériques, la principale limite à l’efficacité de la surveillance de la
population résidait dans le nombre trop important d’individus requis pour
gérer le volume d’informations et faire les recoupements nécessaires pour que
les informations soient signifiantes. Avec les avancées technologiques
prévues du Web sémantique, du Web ubiquitaire et de l’Internet des objets,
auxquelles on ajoute les progrès en matière de reconnaissance biométrique et
l’ensemble des périphériques permettant la saisie de données et d’images,
tels les satellites, les appareils photo et vidéo intégrés aux cellulaires,
les caméras de surveillance, etc., les possibilités de contrôle social et de
surveillance sont vastes et pour le moins inquiétantes. Ainsi, il deviendra
techniquement possible de surveiller l’ensemble des communications
médiatisées et la consommation de biens culturels suspects des individus (par
le biais des réseaux de paiement par carte, par exemple), de suivre leurs
déplacements en temps réel, tant par le biais des multiples objets servant de
transpondeurs (GPS, cellulaires, puces de radio-identification, etc.) que par
la reconnaissance faciale sur les images vidéos des caméras de surveillance.
Dans les faits, les outils nécessaires à un tel contrôle existent déjà de nos
jours; il ne resterait qu’à les multiplier et à les systématiser. Ceci dit,
pour que de telles mesures soient prises, il faudrait que la volonté
politique et les moyens financiers existent et que la société civile assiste
sans réagir à la violation de ses libertés fondamentales.
Sans
donner dans la paranoïa, cette projection orwellienne ne fait que rappeler
l’importance, pour les citoyens, de surveiller le développement et la
réglementation des technologies de communication, de manière à ce qu’ils
respectent ses besoins, ses droits, ses libertés et ses aspirations.
L’Internet
comme outil démocratique
L’Internet
peut être également un outil au service de la démocratie. L’histoire de son
développement est porteuse de leçons en matière d’organisation sociale et
politique. Ainsi, les premiers usagers de l’Internet œuvraient à son
développement en dehors de toute hiérarchie, en tablant sur la discussion, la
collaboration et la volonté de conjuguer les efforts pour la mise en œuvre
d’un projet collectif. Aujourd’hui, ces principes se retrouvent dans
l’élaboration de l’encyclopédie Wikipédia. Un tel projet mise sur la
multiplicité des savoirs et des points de vue, ainsi que sur les efforts et
la responsabilité de chacun des participants. Le sentiment d’appartenance
résultant d’un tel projet le préserve, la plupart du temps, de comportements
abusifs tels que le vandalisme. Il serait pertinent de se demander si les
principes, qui font le succès du Web collaboratif, ne pourraient pas être
applicables à la société, sous la forme, notamment, de l’autogestion.
Si les
citoyens d’un États se comptent par millions et que ce nombre a, jusqu’à
maintenant, interdit le principe de la démocratie participative à l’échelle
nationale, l’Internet devient un outil efficace pour la consultation
populaire, en ce qui concerne l’ensemble des enjeux sociaux et politiques qui
le touchent, de même qu’un espace public de débat et un réservoir
d’informations pour permettre aux citoyens de faire des choix éclairés. Ceci
dit, un tel scénario serait tout aussi surprenant, sinon plus, que celui
d’une société du contrôle social total, car une augmentation de la
participation de la population à la vie démocratique exige le développement
d’une culture de la participation citoyenne et une éducation plus poussée en
matière de politique, d’autant plus qu’il serait étonnant d’un gouvernement
accepte de déléguer une partie de ses pouvoirs à la société civile. Ces
obstacles actuels expliquent en partie les limites à une appropriation
citoyenne des médias.
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